Journal d’aventures, sous la dictée de Chasseuse – 1
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J’ai suggéré à ma cliente de me laisser décider de la forme afin d’harmoniser le récit et permettre une rédaction romancée plus apte à capturer l’émotion des lecteurs, mais cette dernière insiste pour que je rédige son histoire de façon factuelle, sous forme de rapports concis. Malgré mes conseils avisés, elle se refuse à transiger. Elle ne semble guère intéressée par l’exercice et m’a dit ne s’y prêter que parce qu’elle l’a promis à quelqu’un. Je tâcherai d’infléchir sa décision et me plierai pour l’instant à ses exigences.
Je prie donc le lecteur de pardonner la sécheresse des mots que je coucherai sur le papier ci-après.Épisode Kobol, Tarteul, Grifac et le gros renard- Le « trio fini à la pisse trop claire », comme disait mon père, s’est attaqué à un renard étonnamment imposant pris dans un piège. Nous les avons chassés à coups de pierres.
- Raziel a mordu la poussière après avoir été le premier à réagir. Il a beau tomber, il se relève toujours, j’admire sa ténacité.
- Sleipnir a voulu abattre le renard mais nous l’en avons empêché. Je comprends sa prudence, mais ce renard m’intrigue.
- Rain s’est, comme à son habitude, tenue en retrait afin d’analyser la situation. Toujours prudente.
- Brogryn s’est placé devant Rain lors de l’altercation, sans doute pour faire barrage de son corps. Décidément c’est un type bien.
- Personne ne l’a remarqué, mais il y avait deux lapins juste à côté de nous, dans les fourrés.
Épisode Kobal, Tarteul, Grifac et le gros renard - suite- Après l’avoir libéré et constaté que sa patte était blessée, nous avons ramené Renard – il répond quand on l’appelle ainsi – et Raziel chez Hyacinthe afin qu’elle leur prodigue des soins. Elle leur a passé un onguent.
- L’onguent sent l’urine.
- Rain est persuadée que Renard s’appelle Karine. J’ignore pourquoi.
- Renard me donne la drôle d’impression de nous comprendre. Quelqu’un a dû le dresser. Et sacrément bien.
Épisode de la planque- Nous avons croisé la petite Laresne, qui nous a appris que les trois idiots du village ont volé un collier qui appartient à sa mère. Notre groupe a décidé d’aller le récupérer, cela nous donnera une histoire pour venger Renard.
- Arrivés à la planque de Kobol et de ses deux copains, une grotte près de la rivière, nous n’avons trouvé personne sur place. En revanche, nous avons mis la main sur des armes, le collier et un très bel étui orné.
- Un sanglier s’est invité dans la grotte. J’ai dit aux autres de fuir et me suis réfugiée dans un arbre, mais ils ont tenu à affronter le bestiau. Les dieux soient loués, ils s’en sont sortis indemnes car la bête a décidé de s'en aller. Ils n’ont pas l’air de réaliser le danger d’un tel animal. Comme disait mon père « mieux vaut avoir le cul qui colle parce que t’as chié dans ton froc, qu’avoir une défense de sanglier dans le bide parce que t’as voulu y taper la bise ».
Épisode du parchemin, du squelette et des marais- Brogryn nous a lu le parchemin contenu dans l’étui dérobé plus tôt. On dirait le récit d’un voyage depuis une mystérieuse contrée. Ou une carte au trésor sous forme d’énigme parlant de marais, de sentier de lumière et de la constellation du Chasseur. Un jour j’apprendrai à lire, moi aussi.
- Sleipnir affirme savoir lire. J'aurais pas cru.
- Nous avons décodé le parchemin et nous sommes rendus aux marais dans l’espoir d’y trouver un trésor. Ou n’importe quoi de plus excitant que le village.
- J’ai repéré un sentier de biches sur le chemin, j’y ai laissé une entaille sur un arbre pour le retrouver.
- L’énigme était facile à résoudre.
- Après avoir suivi les instructions du parchemin, nous avons trouvé un trou. Nous avions prévu d’y aller prudemment, mais un énorme ver des vases nous a surpris et forcés à nous jeter dans la cavité.
- Rain a réussi à s’en sortir sans trop de bleus ni de traces de boue. Comment reste-t-elle toujours aussi propre ?
- Renard, qui nous a accompagnés, s’est couché près des restes d’un aventurier. Son maître ? Pourtant le corps semble desséché depuis longtemps.
- Il y avait un coffret dans une fissure de la paroi. Pas de trésor cependant, seulement une drôle de poudre un peu brillante.
Épisode du monde des Fades- Sortis de la grotte, nous avons constaté qu’il faisait déjà jour. J’ai cru que la poudre était un somnifère.
- Il y avait beaucoup de brume.
- Il y avait quelque chose de différent dans l’air des marais. Les odeurs n’étaient pas les mêmes, j’entendais des bruits qui ne ressemblaient à rien. Les nuages aussi avaient une drôle de forme.
- Nous nous sommes rapidement fait capturer par une troupe étrange en armures, de races inconnues, montées sur des renards géants aux formes inhabituelles et d’étranges oiseaux que je n’ai jamais vus dans nos forêts. J’aurais voulu leur tenir tête, mais des adultes armés contre des enfants...
- À ce stade, je pensais que nous étions victimes d’hallucinations. Ou d’un rêve très réaliste.
- Ramenés en direction de Fadeloge, nous avons découvert un village à la fois familier mais étrange, habités par des créatures de contes.
- Je n’ai pas reconnu les plantes qui bordaient le chemin.
- Après une brève rencontre avec le chef de tout ce beau peuple, nous avons été jetés aux geôles sous le chef d’accusation d’espionnage pour le compte des « lourds ».
- La porte de notre cellule avait des pieds et une bouche. J’en fais encore des cauchemars, parfois.
Épisode de la fuite et de la mission de sauvetage- Nous sommes parvenus à sortir de notre prison grâce aux garçons qui ont chatouillé la porte.
- J’ai tenté de raconter une blague de mon père. Personne n’a ri. Pas même la porte.
- Renard (de son véritable nom Fane, si je ne m’abuse) nous attendait dans le couloir – ce renard est encore plus gros qu’avant - et nous a guidés loin de la cellule dont l’un des murs commençait à s’effriter sous les coups d’une étrange créature qui essayait d’y pénétrer.
- Se déplacer ici est perturbant, mes foulées sont comme trop courtes ou trop longues.
- Arrivés dans une sorte de laboratoire, nous avons été accueillis par l’un des hommes que nous avaient capturés en sortant du marais, se nommant Kalfariel.
- Apparemment, il était attendu de nous que nous sauvions Fadeloge en empêchant des démons des ronces de récupérer une clef en forme de dragon qui aurait permis au roi des Fades d’envahir notre village avec son armée à travers je ne sais plus quel portail magique.
- Rain semblait trouver tout à fait naturel que nous participions à cette mission. Je ne la savais pas si téméraire.
- Sleipnir avait l’air particulièrement emballé par cette idée. Rien d’étonnant, il a toujours adoré les histoires hautes en couleur.
- Brogryn m’a paru plus réticent, mais il avait à cœur d’aider la communauté, ce qui l’a amené à être favorable à cette entreprise.
- Raziel était prêt à partir avant même que Kalfariel ait terminé sa requête. Sacrée sens du devoir.
- Visiblement, les démons ne les effrayaient pas plus que les sangliers. Étaient-ils inconscients ou étais-je lâche ?
- Nous avons finalement pu quitter cet univers étrange à l’aide d’une barque nous permettant de voyager à travers les mondes.
- Je ne remonterai plus jamais dans une barque. Ou une quelconque embarcation. Mon père disait d’ailleurs toujours « Aller au milieu de la flotte sans nageoires, c’est comme vouloir chier sans trou du cul. Ça va forcément mal se passer. »
Épisode du blessé- La poudre n’était pas de la drogue, on a visiblement vraiment voyagé dans un autre monde.
- Les autres se sont fait incendier, apparemment on a disparu pendant deux jours.
- Mon père m’a forcé à récurer la fosse car j’ai pas pensé à faire le bon nœud pour la barque.
- Un homme a été retrouvé blessé, Brogryn a dû s’en occuper avec Hyacinthe.
- Le soir venu, Sleipnir et Brogryn se sont retrouvés face à face avec des hommes venus achever le blessé. D’après ce que j’ai compris, Sleipnir s’est enfui en criant à l’aide et Brogryn n’a pas pu sauver le pauvre homme. Je suis rassurée qu’il ne leur soit rien arrivé.
- Ce soir là, j’ai eu une belle prise. Une biche s’est prise dans l’un de mes pièges. Son faon était encore là quand je suis arrivée. Je les ai relâchés. J’attendrai que le petit grandisse.
Épisode des démons, de la clef et de la marque- On a croisé Laresne, qui a trouvé comment se venger de Kobol : des scolopendres, sa plus grande peur. On a décidé de l’aider en attendant de trouver une idée concernant la clef en forme de dragon, au sujet de laquelle personne ne semble rien savoir.
- Arrivés près de la rivière, on a neutralisé l’un des deux idiots, puis on a capturé Kobol qu’on a trouvé dans la grotte. Ce gougnafier était si occupé à martyriser un oiseau qu’il ne nous a pas entendus arriver.
- Sous la menace des scolopendres, Kobol nous a avoués qu’il y avait un rassemblent dans la forêt. On a aussi récupéré deux bagues qu’il avait avec lui, visiblement récupérées sur le blessé d’hier.
- J’ai vu Laresne retourner discrètement dans la grotte peu après notre départ. Kobol va morfler.
- Nous avons bel et bien découvert un feu de camp au sein de la forêt. Il y avait plusieurs corps inanimés, un captif attachés à un tronc et de petites créatures menaçantes couvertes de pointes. Les démons de ronces. Le captif avait la clef en forme de dragon autour du cou.
- On a mis au point un plan. Tout le monde devait attirer l’attention des démons, pendant que Sleipnir allait secourir le captif et récupérer la clef qu’il avait au cou.
- Raziel s’est courageusement élancé vers l’une des créatures, ça lui a valu une sale griffure.
- Brogryn s’est interposé pour protéger Rain. Il n’a décidément pas peur pour sa vie.
- J’ai fait de mon mieux pour les couvrir à l’arc.
- Sleipnir s’est faufilé en silence à l’opposé de notre raffut et a réussi à récupérer la clef. On aurait dit un chat, pas un bruit. Beau travail.
- Rain a finalement éliminé le dernier démon d’une manière inattendue… elle a agité la main en psalmodiant je ne sais quelle formule magique. Les ronces ont immédiatement pris feu. Je crois que c’est une sorcière. C’est plutôt chouette d’avoir une sorcière comme amie.
- Les adultes sont arrivés peu après, alertés par Laresne. Pour une fois, on nous a félicité.
- Quelque chose me revient. Alors que les grands s’occupaient des corps au sol, j’aurais juré avoir vu quelque chose briller fugitivement sur chacun de mes amis, et sur moi-même. Peut-être cette étrange marque pâle que nous portons depuis notre retour du monde des Fades ? Je me demande ce que cela peut bien signifier.
- Pour fêter tout ça, une fois rentrés à la maison, mon père m'a autorisé à boire avec lui. C'était pas très bon et j'ai toussé, je pense pas que j'en boirai à nouveau un jour.